Date limite : 12-09-2021
Description complète
Familles en lieux de vie informels
Comprendre les facteurs d’acceptation de solutions de mise à l’abri pour mieux accompagner vers le logement autonome.
Thématique de recherche
En collaboration avec des acteurs institutionnels et associatifs[1], la Croix-Rouge du Rhône (69) a mis en place le « Dispositif d’intervention en campements informels » (DICI) en juin 2020, soit quelques semaines après la fin du premier confinement et en pleine crise sanitaire, pour répondre aux besoins constatés sur le terrain par les équipes de l’association. En effet, durant le premier confinement, les bénévoles de la Croix-Rouge sont intervenus régulièrement dans les squats, bidonvilles et campements informels du département afin d’apporter des colis alimentaires, de l’eau potable et des produits d’hygiène aux habitants, de réaliser des maraudes sanitaires. Le dispositif d’intervention en campements informels a donc été créé pour apporter des solutions concrètes et répondre aux besoins de base des personnes en grande exclusion.
En fonction des besoins, les bénévoles de la Croix-Rouge interviennent dans une dizaine de lieux (campements informels, bidonvilles et squats) qui se trouvent sur les communes de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Feyzin et Lyon. Le nombre de personnes rencontrées fluctue car ce sont des personnes en situation précaire, souvent en mouvement, cela dit, en moyenne près de 1 000 colis alimentaires sont distribués par semaine.
Les interventions s’articulent autour de trois grands axes : répondre aux besoins de base des populations (nourriture, hygiène[2], orientation vers les vestiboutiques pour le textile, travail en lien avec l’hôpital et avec d’autres acteurs, comme Médecins du Monde, pour les questions de santé) ; contribuer à l’amélioration de leurs conditions de vie ; et enfin proposer un accompagnement social pour faire le lien avec les services de droit commun (information, orientation, accompagnement physique si nécessaire, présence d’une assistante sociale, etc.).
Par ailleurs, dans le cadre de ces interventions dans des lieux de vie informels du Rhône, la Croix-Rouge française est amenée à orienter les habitants vers des dispositifs allant de la mise à l’abri d’urgence à l’accès à un logement autonome. Le « Service social 69 », animé uniquement par des salariés de la Croix-Rouge française, procède notamment à une évaluation sociale des ménages permettant de déterminer une orientation qui doit répondre au plus juste aux besoins identifiés.
Cependant, malgré les conditions de vie très détériorées sur site (insalubrité, dangerosité, promiscuité…) et les menaces d’expulsion, les personnes accompagnées refusent très régulièrement les propositions qui leur sont formulées ou quittent prématurément leur hébergement d’urgence.
Ces refus peuvent générer des incompréhensions de la part des acteurs de la Croix-Rouge engagés sur ce dispositif, d’autant plus quand ils sont formulés par des couples avec enfants. Si certaines explications sont parfois avancées (comme le sentiment d’enfermement, le manque d’autonomie, l’inadaptation des solutions à la typologie des familles et aux habitudes…), les équipes d’intervention manquent d’informations sur les préférences et aspirations des habitants de ces lieux de vie en matière d’habitat.
Une recherche conduite auprès de ces habitants permettrait de mieux comprendre les enjeux qu’il peut y avoir derrière un refus et de proposer de nouvelles solutions de mise à l’abri présentant une acceptabilité plus grande car définies en fonction d’une connaissance précise du besoin de ces populations en matière d’hébergement.
L’objectif de cet appel est donc de comprendre les facteurs décisionnels et obstacles à l’acceptation de solutions de mise à l’abri ou d’un accompagnement vers le logement autonome des personnes vivant dans des lieux de vie informels, tout particulièrement les familles (couples avec enfants). A Lyon notamment, le refus des familles syriennes interroge, alors qu’un centre d’hébergement a été fait à leur attention.
Comment comprendre que des personnes sans logement et vivant dans des conditions si difficiles pour elles et leurs enfants refusent l’aide qui leur est proposée ?
Deux causes principales sont souvent avancées, qui engendrent chacune des situations de non-recours différentes : une inadéquation quantitative caractérisée par un manque de places, et une inadéquation qualitative entre l’offre et la demande d’hébergement.
Le Rapport annuel du baromètre 115 (numéro de téléphone gratuit de l’urgence sociale), publié par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), fait état chaque année d’un grand nombre de personnes ayant reçu une réponse négative à leur demande de place d’hébergement.[3] La répétition de cette situation peut engendrer lassitude, épuisement et renoncement chez des personnes qui finalement cherchent des solutions par elles-mêmes. « Les personnes passent donc d’une situation de non-recours par non-réception de leur demande à une situation de non-recours par non-demande, face au constat d’incapacité de l’offre publique à répondre à leurs besoins. »[4]
Ceci dit, l’explication quantitative seule ne peut suffire pour expliquer l’inadéquation entre l’offre et la demande pouvant conduire des personnes à ne pas recourir au système de prise en charge.
Plusieurs travaux expliquent le refus d’hébergement par le fait que les sans-abris considèrent nombre de structures d’accueil comme des lieux insalubres ou dangereux, bref proposant des conditions jugées inacceptables. Aussi, l’offre d’hébergement, très hétérogène, peut consister en la proposition d’espaces où la promiscuité ainsi que les règles et contraintes de fonctionnement ne conviennent pas au profil des demandeurs.
Prenant au sérieux les critiques portées par les personnes sans domicile à l’encontre des hébergements sociaux, certaines analyses[5][6] en concluent que le non-recours à ces solutions d’urgence est finalement un choix individuel consistant à préférer dormir à la rue. Cependant, comme l’a démontré l’étude d’Edouard Gardella et Amandine Arnaud[7], si tenir compte de ces critiques est nécessaire pour donner du sens au non-recours à l’hébergement cela n’est en aucun cas suffisant, car nombre de personnes qui vont en hébergement se plaignent également (« critiquer n’est pas refuser »[8]).
La condition d’accompagnement social qui est parfois liée à la demande de place d’hébergement peut aussi expliquer le non-recours. « Vouloir trouver un moyen de ne pas dormir dehors ne signifie pas nécessairement que l’on accepte qu’un intervenant social ait son mot à dire sur des aspects parfois très intimes de son existence (santé ou parentalité par exemple) ou sur ses projets, envies, décisions. »[9] La crainte de perte d’autonomie décisionnelle que l’entrée dans un dispositif social peut générer expliquerait ainsi certaines situations de non-recours à un hébergement d’urgence.
Ce refus de perdre le contrôle sur sa propre destinée fait aussi écho à celui de se détacher de collectifs d’appartenance auxquels de nombreux sans-abri sont fortement liés, même s’ils les exposent à une grande précarité.[10][11] Cette dernière observation tend par ailleurs à contredire une autre explication du refus d’hébergement selon laquelle les personnes sans abri seraient si fortement exclues qu’elles ne parviendraient même plus à se relier aux dernières institutions, celles d’assistance, qui leur tendent la main. « Le refus d’hébergement est dès lors diagnostiqué comme l’une des formes les plus aiguës d’un phénomène qui caractérise, dans ces analyses, les situations de pauvreté et d’exclusion en général : la ‘’désocialisation’’ », une notion que l’on rencontre dans de nombreuses enquêtes de sociologie de la pauvreté.[12]
Quelle que soit l’interprétation donnée, l’analyse par le non-recours est pertinente car elle permet d’illustrer « en quoi l’affirmation politique et la reconnaissance juridique d’un droit à l’hébergement se heurtent aux conditions concrètes de sa mise en œuvre ».[13] Ces comportements nous invitent à interroger tout à la fois « les rationalités individuelles à l’œuvre dans ce qui peut parfois prendre la forme d’une mise à distance d’une partie de l’offre publique, mais également à observer la manière dont fonctionnent et s’articulent les dispositifs au sein d’un champ de prise en charge en pleine redéfinition »[14].
Aussi, les candidats sont encouragés à aborder le non-recours par une approche sociologique, qui permet d’éviter le piège consistant à individualiser à l’excès les situations de pauvreté et d’exclusion. Cette approche invite à « considérer les choix et préférences résidentiels dans une perspective qui tienne compte à la fois des expériences socialisatrices passées, des contextes de contraintes objectives dans lequel elles prennent place, et du rapport entre présent et futur qui se joue dans ces existences précarisées ».[15]
En conclusion, les candidats sont particulièrement encouragés à aborder :
les raisons pour lesquelles les habitants des lieux de vie informels n’acceptent pas les propositions d’hébergement, en particulier les familles (couples avec enfants) exilées;
les aspirations de ces personnes en matière d’accompagnement vers le logement autonome ;
les facteurs de nature à renforcer l’acceptabilité des propositions d’hébergement et la proposition de solutions pérennes.
[1] Le dispositif d’intervention en campements informels associe notamment la Croix-Rouge française, la ville de Villeurbanne, la Métropole de Lyon et l’Eau du Grand Lyon.
[2] Sur certains sites, l’une des actions importantes à réaliser pour l’amélioration des conditions de vie est avant tout d’installer des points d’eau, des sanitaires et des toilettes. Après un diagnostic, la Croix-Rouge a installé récemment deux douches et quatre toilettes dans un bidonville où il n’y avait qu’un seul point d’eau.
[3] A titre d’exemple, en 2014, presque la moitié des 97 600 personnes qui appelé le 115 dans l’espoir d’obtenir une place d’hébergement ont reçu une réponse négative à chacun de leurs appels. Autre exemple, pour le seul mois d’octobre 2015, 13 700 personnes n’ont jamais bénéficié d’une place suite à leur(s) demande(s) au 115 dans les 45 départements du baromètre, soit 6 personnes sur 10 (58%). https://www.infomie.net/IMG/pdf/barometre115_2015_10.pdf
[4] Levy, Julien. « L’urgence sociale à l’épreuve du non-recours », Plein droit, vol. 106, no. 3, 2015, pp. 7-10.
[5] Damon, J. 2002. La Question SDF, Paris : PUF.
[6] Marpsat, M., Quaglia, M. et Razafindratsima, N. (dir.). 2002. Étude des marges de l’enquête de l’INSEE 2001 : le cas des personnes sans domicile n’utilisant pas les services d’hébergement et de restauration, rapport pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion social.
[7] Gardella, E. et Arnaud, A. 2018. Le Sans-abrisme comme épreuves d’habiter. Caractériser statistiquement et expliquer qualitativement le non-recours aux hébergements sociaux, rapport pour l’Observatoire du Samusocial de Paris et pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Disponible en ligne à l’URL suivant : www.samusocial.paris/sites/default/files/2018-10/gardellaarnaudnonrecours_rapportobsssp_version_finale_02mars2018_v2.pdf.
[8] Edouard Gardella, « Comprendre le refus de l’hébergement d’urgence par les sans-abri », Métropolitiques, 4 avril 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Comprendre-le-refus-de-lhebergement-d-urgence-par-les-sans-abri.html.
[9] Levy, Julien. « L’urgence sociale à l’épreuve du non-recours », Plein droit, vol. 106, no. 3, 2015, pp. 7-10.
[10] Edouard Gardella, « Comprendre le refus de l’hébergement d’urgence par les sans-abri », Métropolitiques, 4 avril 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Comprendre-le-refus-de-lhebergement-d-urgence-par-les-sans-abri.html.[11] Pichon, P. 2010. Vivre dans la rue. Sociologie des sans domicile fixe, Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne.
[12] Schnapper, D. 1994 [1980]. L’Épreuve du chômage, Paris : Gallimard.
Duvoux, N. 2009. L’Autonomie des assistés. Une sociologie des politiques d’insertion, Paris : PUF.
[13] Levy, Julien. « L’urgence sociale à l’épreuve du non-recours », Plein droit, vol. 106, no. 3, 2015, pp. 7-10.
[14] Ibid.
[15] Lion, G. 2015. Incertaines demeures. Enquête sur l’habitat précaire, Paris : Bayard, p. 203.
Zone géographique de recherche
La recherche aura lieu dans une ou plusieurs grandes métropoles et zones de transit des personnes migrantes sur le territoire national, de préférence dans les agglomérations parisienne, lyonnaise ou du Calaisis, soit les principaux territoires d’intervention de la Croix-Rouge française via le dispositif DICI.
Crédit photo : richard-cordones-Unsplash
Bourse de recherche (individuelle)
Nombre de bourse : 1
Montant : 17 000 €
Chaque lauréat bénéficiera en outre de :
• la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros)
• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publication sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires
Dates clés :
• 30 juillet 2021 : lancement de l’appel
• 12 sept. 2021 : clôture des candidatures à minuit (heure de Paris)
• 7 oct. 2021 : annonce des résultats
• 18 oct. 2021 : début de la recherche
• 18 oct. 2022 : rendu des livrables finaux
Mots-clés :
• Réfugiés
• Sans-abris
• Hébergement
• Famille
• Exclusion
CANDIDATER
Les candidatures aux différentes bourses de recherche proposées par la Fondation Croix-Rouge française doivent être déposées via une plateforme en ligne, accessible en cliquant sur le bouton ci-dessous.
Avant de démarrer votre candidature, assurez-vous d’avoir pris très précisément connaissance :
des conditions d’éligibilité,
des documents à fournir,
des modalités du soutien financier de la Fondation.
Ces éléments se trouvent dans le règlement complet, à télécharger sur la page de chaque appel.
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